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title: "L'affaire du siècle, le 2e pilier et les assureurs"
date: 2024-08-19T16:40:30+02:00
draft: false
categories: ["explorations"]
tags: ["retraite", "suisse", "2e pilier", "livre", "recension"]
slug: 2e-pilier
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Après un [livre essentiel pour comprendre l'ambiance politique contemporaine de
la France][3], voici un livre essentiel pour comprendre pourquoi il n'y a pas de
système de retraite digne de ce nom en Suisse, hormis pour quelques
privilégiés, essentiellement des hommes, d'où la formule. Et ce n'est pas un
bug, mais une fonctionnalité. Qu'une révision[^4] -- à refuser impérativement!
-- ne saurait corriger. Et c'est bien dans le contexte de celle-ci que la
lecture de ce petit livre est utile, importante.
Ou même s'en tenir aux morceaux choisis de sa conclusion. La
citation est longue, je n'ai pas coupé grand chose. Comme une conclusion bien
rédigée, elle résume efficacement le livre, et je me répète, c'est un livre
essentiel. De plus, il se lit comme un bon roman policier, sans suspens, mais
plein d'horreurs bourgeoises. On en apprend pas mal sur «la gauche» suisse et
sur les supercheries de la «paix du travail» et du «dialogue avec les
partenaires sociaux».
Je l'ai découvert à la lecture d'un [entretien][2] publié sur *Pages de gauche*.
Mais voici les extraits (p. 127-131):
{{< blockquote lang="fr" author="Pietro Boschetti"
title="L'affaire du siècle, le 2e pilier et les assureurs"
link="https://www.alphil.com/livres/1322-laffaire-du-siecle-le-2e-pilier-et-les-assureurs.html"
>}}
À travers cet ouvrage, nous nous sommes efforcé de montrer combien le système
des trois piliers a été conçu et configuré par les assureurs-vie. Cest un long
processus historique qui a commencé au début du XXe siècle. Non pas en fonction
dun quelconque agenda préétabli, plus ou moins secret, prévoyant demblée
toutes les étapes à franchir jusquau triomphe du 3 décembre 1972, mais bien
selon les contraintes de lhistoire […].
Il faudra des décennies avant que le projet [des trois piliers] ne prenne
véritablement forme durant les années 1950 et 1960. À ce moment dailleurs, les
assureurs-vie se sont rallié une grande partie de léconomie, en particulier
lindustrie financière (banque, sociétés de gestion, dinvestissement, de
conseils, etc.) voyant clairement les avantages dune épargne forcée via un
deuxième pilier obligatoire fonctionnant par capitalisation. <mark>Car la
votation du 3 décembre 1972 qui inscrit dans la Constitution ce système
signifie en réalité la financiarisation de la prévoyance vieillesse. Et qui
peut véritablement en profiter, sinon lindustrie financière ?</mark>
Le scandale des 20 milliards de francs (voir chapitres 4, 5 et 6) fournit une
illustration spectaculaire de lincroyable marge de manœuvre que la politique a
abandonnée aux assureurs-vie dans leurs affaires florissantes de prévoyance
collective. Cest peut-être lexemple le plus abouti de lobbyisme politique au
XX siècle. […] <mark>Rappelons que ce scandale 1) a mis au jour labsence quasi
totale dun contrôle étatique sur les rendements réalisés par les assureurs-vie
avec largent du deuxième pilier ; 2) que cette situation a perduré pendant au
moins quinze ans; 3) que les compagnies dassurance tenaient alors en la
matière une «comptabilité virtuelle, qui napparaît pas officiellement au
bilan»; 4) quelles mélangeaient dans le même pot comptable leurs affaires
privées et celles du deuxième pilier;5) quil a été impossible de
reconstruire ultérieurement les flux de capitaux concernés;6) que lon ne
connaîtra jamais le montant total des excédents encaissés par les assureurs
faute de données suffisantes… Et tout cela dans le cadre dune assurance
sociale!</mark> Ainsi que le relève lancienne conseillère fédérale Ruth
Dreifuss: «Le vice de forme, cest davoir au fond confié la gestion des
fonds dune assurance sociale à des assurances privées. »
[…]
<mark>Cerise sur le gâteau, la prévoyance professionnelle avec son mécanisme
de capitalisation se révèle dune singulière inefficacité en tant quassurance
sociale (voir chapitre 8). Tout simplement parce quelle exclut tout effet de
solidarité. Elle aggrave ainsi les inégalités, particulièrement entre hommes
et femmes; elle est plus chère pour les assurés que lAVS; les rentes
reculent depuis une bonne vingtaine dannées; le montant médian des
nouvelles rentes 2021 se situe à un modeste 1'701 francs par mois (1'782
francs pour lAVS). Un constat résume bien ce manque defficacité par rapport
au premier pilier: dans lAVS, 100 francs de cotisation financent 99 francs
de rente contre 76 francs seulement dans la prévoyance
professionnelle.</mark> Un expert mandaté par le Conseil fédéral pour
examiner les avantages comparés entre un système de prévoyance basé sur la
répartition [comme lAVS] ou sur la capitalisation [comme le deuxième pilier]
écrivait en 1971 ce qui suit: «Plus le deuxième pilier sappuiera sur la
capitalisation, plus le poids sera mis sur des objectifs qui ne seront pas en
premier lieu des prestations sociales. » Le deuxième pilier made in
Switzerland recourt à une capitalisation au sens le plus strict du terme.
Pour anticiper son évolution, il faut de surcroît utiliser une foule
dhypothèses. Surtout pour ce qui concerne son financement, lequel repose dans
une large mesure sur la santé des marchés financiers. Des hypothèses là encore,
ou plutôt des paris quil faut tenir pendant des décennies. Voici ce quen
pensait un représentant de la Banque Nationale invité à une séance de la
Commission ad hoc du Conseil des États, en train de travailler sur le projet de
LPP en 1978: « [Je] voudrais dire quétablir un pronostic fiable sur une durée
de 40 ans ou plus est très difficile, pour ne pas dire impossible. […] personne
ne peut garantir que les prestations [du deuxième pilier] seront encore
finançables dans 20, 30, 40 ans. » Et pourtant la base financière de la LPP
a été bâtie sur des pronostics à quarante ans, voire davantage.
<mark>Aujourdhui, le maillon faible du financement de la prévoyance
vieillesse, cest le deuxième pilier et non pas lAVS comme on ne cesse de le
prétendre.</mark> Répétons-le: depuis une vingtaine dannées, les rentes LPP
sont en baisse; depuis 2007 au moins, la prévoyance professionnelle est en
déficit chronique. Le système est en train dimploser lentement mais sûrement.
Raison pour laquelle la droite cherche à imposer ses remèdes de cheval.
Cest-à-dire: baisse du taux de conversion […]; augmentation de lâge de la
retraite, des cotisations, des deux à la fois, etc. Et puis, larme fatale,
labaissement du niveau des rentes en cours, pour lheure impossible à cause de
la LPP. Mais il suffit de réviser la loi. […]
Imaginer une refonte de notre système de retraites préservant les intérêts du
plus grand nombre dépasse largement les limites de ce petit livre. <mark>Mais cest
parfaitement envisageable, en vérifiant par exemple les possibilités de
«dégonfler» le deuxième pilier, ou au moins de le geler dans son état actuel,
au profit bien sûr dun développement significatif de lAVS, en particulier des
rentes.</mark> Relativement au PIB, ces dernières nont quasiment plus bougé depuis la
votation du 3 décembre 1972. Cétait dailleurs ce que les assureurs-vie
avaient prévu. En revanche, aucune des promesses faites avant le vote na été
tenue, à lexception de lobligation du deuxième pilier. Pour le dire en une
formule lapidaire, <mark>la doctrine des trois piliers cest un vrai
mensonge.</mark>
{{< /blockquote >}}
Parfois je me dis que Lordon n'avait pas idée à quel point [les fonds de
pension sont un piège à cons][1].
Et n'oublie pas de refuser la «réforme» de la LPP!
La référence complète du live: BOSCHETTI, Pietro, 2023. Laffaire du siècle,
le 2e pilier et les assureurs. Neuchâtel : Editions Livreo-Alphil. Collection
Focus 40. ISBN 978-2-88950-132-8.
<!-- références -->
[1]: https://www.raisonsdagir-editions.org/catalogue/fonds-de-pension-piege-a-cons/
[2]: https://pagesdegauche.ch/la-longue-idylle-entre-les-assurances-vie-et-le-2e-pilier-entretien-avec-pietro-boschetti/
[3]: /la-guerre-civile-en-france
[^1]: R, Dreifuss, interview avec lauteur, le 7 février 2022.
[^2]: Cité in : SOMMER Jürg H, Das Ringen um soziale Sicherheit in der Schweiz,
Verlag Rüegger, 1978, p. 395.
[^3]: Audition des représentants de la Banque Nationale, annexe III au PV de la
séance du 24-25 avril 1978, Commission du Conseil des États, Prévoyance
professionnelle, p. 9.
[^4]: Comme on dit «réforme» en France, pour éviter de dire contre-réforme
conservatrice.