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+title: "Les cerisiers fleurissent"
+date: 2020-03-18T12:38:18+01:00
+publishDate: 2020-03-21
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+categories: ["traces"]
+tags: ["#EcritHebdo", "écriture", "enfermement", "sortie"]
+slug: les-cerisiers-fleurissent
+---
+
+« Ah tiens, les cerisiers fleurissent. »
+
+Il veut sortir. Aller se coucher dans l'herbe, sentir sa peau chauffer au
+soleil de mai. Enfin, d'avril. Non, de mars. Peu importe. Il veut aussi jouer
+avec des enfants, les prendre dans les bras, rigoler, se casser la gueule en
+trébuchant, jouer à l'élastique, oui, même à l'élastique, ça serait
+fantastique, et puis faire une sieste auprès du grand-père, sur l'alpage,
+à l'ombre des mélèzes qui ont survécu à la grippe espagnole qui venait de
+Chine, si ça se trouve c'était encore à cause des Américains, bref, retrouver
+le monde d'avant, où l'avenir était infini, une sorte de maintenant éternel,
+juste avec le rythme lent des saisons, de son âge qui bouge, savoir chaque jour
+faire des trucs en plus, retrouver ce paradis duquel on se fait jeter avant
+même d'avoir compris que c'était le paradis, perdu, parce qu'il ne peut y avoir
+de paradis qui ne soit d'abord perdu.
+
+Il veut sortir. Marcher dans la ville, se fondre dans la foule, s'y sentir seul
+dans sa bulle musicale, danser mentalement grâce à la marche qui s'accélère ou
+ralentit selon le rythme de la musique, visiter les murs comme on visite un
+musées, avec ses déclinaisons de tags rageurs ou poétiques, rageurs et
+poétiques, rageurs tout court, respiration indispensable. Ou pédaler, slalomer
+entre les cubes d'acier et de plastique presque immobiles, se griser de vitesse
+quand c'est possible, et s'essouffler dans les montées, pouvoir se transporter
+tout seul, plus loin, jusqu'à sortir de la ville, retrouver un horizon plus
+large, gonfler ses poumons des immenses nuages où se peignent les couchers de
+soleil, où s'annoncent les orages qui réjouissent l'âme et le corps, enfin,
+l'âme ou le corps, deux mots pour la même chose. Bref, il veut sortir.
+
+« Ah tiens, les cerisiers fleurissent. »
+
+Il a déjà connu une sorte d'enfermement, à l'époque ça avait duré plusieurs
+années et c'était tombé sur lui. Enfin, il n'en sait rien, ça avait bien dû
+tomber sur quelques autres aussi, lorsque tu penses être seul,
+vraisemblablement tu es en réalité plusieurs millions, fourmilière humaine
+oblige. Et donc, c'était tombé sur lui. Une manière d'éviter d'écrire qu'il se
+l'était imposé, parce que d'un côté personne ne l'avait forcé, pas même lui
+justement. Peut-être aurait-il pu faire autrement, mais ça n'aurait pas été
+possible, il veut sortir de cette aporie, lorsqu'il n'y a pas de solution, il
+n'y en a pas. S'enferrer à chercher des causes premières et des motivations,
+c'est être réduit à ratiociner, vain blabla. C'était tombé sur lui. Il aurait
+bien voulu sortir, se sortir de là, mais il ne savait pas comment faire, si
+c'était permis, pourquoi ça ne l'aurait pas été, alors il avait simplement
+pillé la bibliothèque publique, cherché à comprendre le monde, parce que
+celui-ci semblait s'être trompé d'époque, obstiné à vivre comme dans les heures
+les plus sombres du 19e siècle européen, alors qu'on s'éclatait en
+plein anthropocène post guerre froide. La confusion était totale. Et écouter de
+la musique, en buvant du café, en fumant des joints, en boucle : livres,
+musique, café, joints. Pendant une petite décennie.
+
+Et il était sorti.
+
+« Ah tiens, les cerisiers fleurissent. »
+
+Ça avait été le retrouvailles avec la lumière, le souffle, la distance,
+l'horizon ouvert, et les nuages, les nuages parce qu'ils donnent la mesure de
+l'immensité du ciel, un contraste frappant avec les détail du faux crépis du
+mur de sa chambre, des fleurs, des odeurs, de la poussière, la pluie, l'orage,
+la joie du monde, pouvoir à nouveau fatiguer ses muscles, redonner de l'espace
+aux poumons, passer de mort vivant à vivant vivant. C'était inespéré. Un moment
+à nul autre pareil. Parvenir au sommet de la montagne.
+
+Ce sommet est une illusion d'optique, l'épaule de l'arrête, le chemin pierreux
+monte encore vers l'épaule suivante, et d'épaule en épaule il finit par ne plus
+bien savoir si ça monte encore, si l'espace ne s'est pas mué,
+imperceptiblement, en une boîte qui se resserre, tous ces si s'évanouissent,
+l'évidence ne peut plus être ignorée, une nouvelle sortie devient nécessaire,
+à trouver, à creuser, à déchirer, à dessiner, à esquisser, à chaque fois il
+s'agit d'être un peu plus malin, de faire en se laissant faire… Il se sent
+à court d'imagination. S'interroge sur la pertinence des routines
+d'assouplissement. Il veut sortir.
+
+« Ah tiens, les cerisiers fleurissent. »
+
+Se faire fleur de cerisier, de prunier, d'amandier, le particulier est un
+détail, charmant, essentiel même, mais un détail. Se faire fleur. Et sortir,
+sans même l'avoir voulu. Parce que. Parce que quoi ? La mère et le grand-père
+partent d'un grand éclat de rire. Il va devoir faire avec, se contenter de
+cette réponse, jongler avec les problèmes sans solution, les laisser se briser
+au sol, comme de petites fioles libérant des parfums dont il se souvient bien,
+mais ne sait, comme toujours, nommer.
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+Des textes d'autres personnes peuvent être cherché au bout des liens suivants,
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