From 35553c133c4244c78c4279c10b1bde0539c1a620 Mon Sep 17 00:00:00 2001 From: iGor milhit Date: Mon, 19 Aug 2024 17:26:57 +0200 Subject: [PATCH] =?UTF-8?q?explorations:=20r=C3=A9dige=20le=20billet=20sur?= =?UTF-8?q?=20le=202e=20pilier?= MIME-Version: 1.0 Content-Type: text/plain; charset=UTF-8 Content-Transfer-Encoding: 8bit Co-Authored-by: iGor milhit --- content/blog/2e-pilier.md | 148 ++++++++++++++++++++++++++++++++++++++ 1 file changed, 148 insertions(+) create mode 100644 content/blog/2e-pilier.md diff --git a/content/blog/2e-pilier.md b/content/blog/2e-pilier.md new file mode 100644 index 0000000..87b06d4 --- /dev/null +++ b/content/blog/2e-pilier.md @@ -0,0 +1,148 @@ +--- +title: "L'affaire du siècle, le 2e pilier et les assureurs" +date: 2024-08-19T16:40:30+02:00 +draft: false +categories: ["explorations"] +tags: ["retraite", "suisse", "2e pilier", "livre", "recension"] +slug: 2e-pilier +--- + +Après un [livre essentiel pour comprendre l'ambiance politique contemporaine de +la France][3], voici un livre essentiel pour comprendre pourquoi il n'y a pas de +système de retraite digne de ce nom en Suisse, hormis pour quelques +privilégiés, essentiellement des hommes, d'où la formule. Et ce n'est pas un +bug, mais une fonctionnalité. Qu'une révision[^4] -- à refuser impérativement ! +-- ne saurait corriger. Et c'est bien dans le contexte de celle-ci que la +lecture de ce petit livre est utile, importante. + +Ou même s'en tenir aux morceaux choisis de sa conclusion. La +citation est longue, je n'ai pas coupé grand chose. Comme une conclusion bien +rédigée, elle résume efficacement le livre, et je me répète, c'est un livre +essentiel. De plus, il se lit comme un bon roman policier, sans suspens, mais +plein d'horreurs bourgeoises. On en apprend pas mal sur « la gauche » suisse et +sur les supercheries de la « paix du travail » et du « dialogue avec les +partenaires sociaux ». + +Je l'ai découvert à la lecture d'un [entretien][2] publié sur *Pages de gauche*. +Mais voici les extraits (p. 127-131) : + + +{{< blockquote lang="fr" author="Pietro Boschetti" + title="L'affaire du siècle, le 2e pilier et les assureurs" + link="https://www.alphil.com/livres/1322-laffaire-du-siecle-le-2e-pilier-et-les-assureurs.html" +>}} + +À travers cet ouvrage, nous nous sommes efforcé de montrer combien le système +des trois piliers a été conçu et configuré par les assureurs-vie. C’est un long +processus historique qui a commencé au début du XXe siècle. Non pas en fonction +d’un quelconque agenda préétabli, plus ou moins secret, prévoyant d’emblée +toutes les étapes à franchir jusqu’au triomphe du 3 décembre 1972, mais bien +selon les contraintes de l’histoire […]. + +Il faudra des décennies avant que le projet [des trois piliers] ne prenne +véritablement forme durant les années 1950 et 1960. À ce moment d’ailleurs, les +assureurs-vie se sont rallié une grande partie de l’économie, en particulier +l’industrie financière (banque, sociétés de gestion, d’investissement, de +conseils, etc.) voyant clairement les avantages d’une épargne forcée via un +deuxième pilier obligatoire fonctionnant par capitalisation. Car la +votation du 3 décembre 1972 qui inscrit dans la Constitution ce système +signifie en réalité la financiarisation de la prévoyance vieillesse. Et qui +peut véritablement en profiter, sinon l’industrie financière ? + +Le scandale des 20 milliards de francs (voir chapitres 4, 5 et 6) fournit une +illustration spectaculaire de l’incroyable marge de manœuvre que la politique a +abandonnée aux assureurs-vie dans leurs affaires florissantes de prévoyance +collective. C’est peut-être l’exemple le plus abouti de lobbyisme politique au +XX siècle. […] Rappelons que ce scandale 1) a mis au jour l’absence quasi +totale d’un contrôle étatique sur les rendements réalisés par les assureurs-vie +avec l’argent du deuxième pilier ; 2) que cette situation a perduré pendant au +moins quinze ans ; 3) que les compagnies d’assurance tenaient alors en la +matière une « comptabilité virtuelle, qui n’apparaît pas officiellement au +bilan » ; 4) qu’elles mélangeaient dans le même pot comptable leurs affaires +privées et celles du deuxième pilier ; 5) qu’il a été impossible de +reconstruire ultérieurement les flux de capitaux concernés ; 6) que l’on ne +connaîtra jamais le montant total des excédents encaissés par les assureurs +faute de données suffisantes… Et tout cela dans le cadre d’une assurance +sociale ! Ainsi que le relève l’ancienne conseillère fédérale Ruth +Dreifuss : « Le vice de forme, c’est d’avoir au fond confié la gestion des +fonds d’une assurance sociale à des assurances privées. » + +[…] + +Cerise sur le gâteau, la prévoyance professionnelle avec son mécanisme +de capitalisation se révèle d’une singulière inefficacité en tant qu’assurance +sociale (voir chapitre 8). Tout simplement parce qu’elle exclut tout effet de +solidarité. Elle aggrave ainsi les inégalités, particulièrement entre hommes +et femmes ; elle est plus chère pour les assurés que l’AVS ; les rentes +reculent depuis une bonne vingtaine d’années ; le montant médian des +nouvelles rentes 2021 se situe à un modeste 1'701 francs par mois (1'782 +francs pour l’AVS). Un constat résume bien ce manque d’efficacité par rapport +au premier pilier : dans l’AVS, 100 francs de cotisation financent 99 francs +de rente contre 76 francs seulement dans la prévoyance +professionnelle. Un expert mandaté par le Conseil fédéral pour +examiner les avantages comparés entre un système de prévoyance basé sur la +répartition [comme l’AVS] ou sur la capitalisation [comme le deuxième pilier] +écrivait en 1971 ce qui suit : « Plus le deuxième pilier s’appuiera sur la +capitalisation, plus le poids sera mis sur des objectifs qui ne seront pas en +premier lieu des prestations sociales. » Le deuxième pilier made in +Switzerland recourt à une capitalisation au sens le plus strict du terme. + +Pour anticiper son évolution, il faut de surcroît utiliser une foule +d’hypothèses. Surtout pour ce qui concerne son financement, lequel repose dans +une large mesure sur la santé des marchés financiers. Des hypothèses là encore, +ou plutôt des paris qu’il faut tenir pendant des décennies. Voici ce qu’en +pensait un représentant de la Banque Nationale invité à une séance de la +Commission ad hoc du Conseil des États, en train de travailler sur le projet de +LPP en 1978 : « [Je] voudrais dire qu’établir un pronostic fiable sur une durée +de 40 ans ou plus est très difficile, pour ne pas dire impossible. […] personne +ne peut garantir que les prestations [du deuxième pilier] seront encore +finançables dans 20, 30, 40 ans. » Et pourtant la base financière de la LPP +a été bâtie sur des pronostics à quarante ans, voire davantage. + +Aujourd’hui, le maillon faible du financement de la prévoyance +vieillesse, c’est le deuxième pilier et non pas l’AVS comme on ne cesse de le +prétendre. Répétons-le : depuis une vingtaine d’années, les rentes LPP +sont en baisse ; depuis 2007 au moins, la prévoyance professionnelle est en +déficit chronique. Le système est en train d’imploser lentement mais sûrement. +Raison pour laquelle la droite cherche à imposer ses remèdes de cheval. +C’est-à-dire : baisse du taux de conversion […] ; augmentation de l’âge de la +retraite, des cotisations, des deux à la fois, etc. Et puis, l’arme fatale, +l’abaissement du niveau des rentes en cours, pour l’heure impossible à cause de +la LPP. Mais il suffit de réviser la loi. […] + +Imaginer une refonte de notre système de retraites préservant les intérêts du +plus grand nombre dépasse largement les limites de ce petit livre. Mais c’est +parfaitement envisageable, en vérifiant par exemple les possibilités de +« dégonfler » le deuxième pilier, ou au moins de le geler dans son état actuel, +au profit bien sûr d’un développement significatif de l’AVS, en particulier des +rentes. Relativement au PIB, ces dernières n’ont quasiment plus bougé depuis la +votation du 3 décembre 1972. C’était d’ailleurs ce que les assureurs-vie +avaient prévu. En revanche, aucune des promesses faites avant le vote n’a été +tenue, à l’exception de l’obligation du deuxième pilier. Pour le dire en une +formule lapidaire, la doctrine des trois piliers c’est un vrai +mensonge. +{{< /blockquote >}} + +Parfois je me dis que Lordon n'avait pas idée à quel point [les fonds de +pension sont un piège à cons][1]. + +Et n'oublie pas de refuser la « réforme » de la LPP ! + +La référence complète du live : BOSCHETTI, Pietro, 2023. L’affaire du siècle, +le 2e pilier et les assureurs. Neuchâtel : Editions Livreo-Alphil. Collection +Focus 40. ISBN 978-2-88950-132-8. + + + +[1]: https://www.raisonsdagir-editions.org/catalogue/fonds-de-pension-piege-a-cons/ +[2]: https://pagesdegauche.ch/la-longue-idylle-entre-les-assurances-vie-et-le-2e-pilier-entretien-avec-pietro-boschetti/ +[3]: /la-guerre-civile-en-france + +[^1]: R, Dreifuss, interview avec l’auteur, le 7 février 2022. +[^2]: Cité in : SOMMER Jürg H, Das Ringen um soziale Sicherheit in der Schweiz, + Verlag Rüegger, 1978, p. 395. +[^3]: Audition des représentants de la Banque Nationale, annexe III au PV de la + séance du 24-25 avril 1978, Commission du Conseil des États, Prévoyance + professionnelle, p. 9. +[^4]: Comme on dit « réforme » en France, pour éviter de dire contre-réforme + conservatrice.